The painter
« J’habite une blessure sacrée, j’ habite des ancêtres imaginaires,
j’habite un vouloir obscur.. »
"Le peintre"
« Matteli le commissaire, et son ami Ovalie s’assoient et posent devant eux le tableau saisi chez le boulanger Delorme.
- ça te dit quelque chose, ce paysage, à toi, Ovalie ?
- Tu sais : un lac, des sapins, une barque sur laquelle se trouve une femme tenant dans ses bras un enfant, ça n’a rien d’exceptionnel.
- Tu crois que c’est une toile qu’on achète en gros ou que c’est vraiment une œuvre unique, peinte par une seule personne ?
- A mon sens, il s’agit d’un tableau peint par quelqu’un, pas d’une réplique à tirage industriel. Regarde la signature, la lettre D avec cet éclair dessus, c’est bizarre, ça aussi ! »
Le lecteur vient de tourner la dernière page de ce roman…
Un silence profond l’envahit…
Le réel lui est entré par la bouche, les yeux irrités et humides…
Une pluie de larmes ruisselle sur la toile, rejoignant l’eau douce du lac…
Les cheveux d’une femme vue de dos, muette au loin dans une barque endormie sur l’horizon …
Un jeune homme les bras tendus sur le rivage…
Si le ciel existe peut-être la retrouvera-t-il dans une autre vie ?
Avec Nicolas Clément l’expression « plus vrai que nature » prend tout son sens. Ce roman a pour objet la reproduction la plus parfaite d'un visuel, au point de pixéliser la trame du récit, mimétisme de la toile. Il dépeint des contextes, des situations, dans le feu de l’action, rien n’est laissé au hasard, un récit basé sur le culte du détails, un rendu minutieux de la réalité policière.
Quatre tableaux, qui sonnent les quatre coups de théâtre !
Changement de lieux , retournement de point de vue, situations imprévisibles qui créent l'évènement.
Le contraste vient de l’exigence du Peintre lui-même, l’œuvre picturale veut établir un constat du monde presque photographique, qui induit une technicité perfectionniste d’ un labeur prémédité de plusieurs centaines d’heures.
Mais cette oeuvre dérange par sa neutralité. ne devrait pas être une source d'émotion pour qui que ce soit, encore moins pour le commissaire, et la juge d’instruction.
Les histoires apparemment les plus simples sont souvent les plus complexes.
Bientôt les évènements vont se précipiter de façon inattendue, et deviendront les rétro-projecteurs de la conscience !
Matteli et le lieutenant Hayois composent une partie de la brigade criminelle, Ils auditionnent toujours à deux le plus souvent possible, l’un questionne, et l’autre retranscrit.
Une formule qui leur permet d’éviter d’être pris en cause individuellement sur leurs méthodes d’audition et de resserrer ce lien qui les unit, dans la vie comme dans les enquêtes.
Pour eux, une affaire non résolue, ce sont des nuits sans sommeil, du stress, de l’insatisfaction, une remise en cause totale de leur valeur personnelle, de leur engagement, c’est aussi affronter le regard accusateur des familles des victimes.
L’œuvre picturale en fond d’écran sur leur téléphone portable semble être le meilleur moyen de poursuivre le meurtrier qui les précède. Le roman policier naissant ne serait donc que le versant fictionnel de ces récits de crimes et de délits que l’auteur lui-même côtoie dans son activité professionnelle de détective.
Voilà un ' rompol ' dont le héros est ancré dans l'univers diégétique, le meurtrier participe physiquement, au mépris de sa vie, aux diverses transformations de l'histoire.
Les états d’âme du peintre lui sont précieux, ils cristallisent l’élargissement de son horizon, le rendent plus fort, et plus en paix avec lui-même lors des dialogues qu’il a avec ses futures victimes :
« - Que me voulez-vous ?
- Rien , si ce n’est vous offrir un tableau ;
- Je peins, Mr.F., je peins un peu grâce à vous. »
ou encore :
«- Qu’allez-vous faire de mon tableau ? »
Un jeune homme qui maîtrise ses nerfs et gère ses émotions sans aucun doute depuis des années, qui transpose sa rage pour ne pas perdre son bon sens, sa perspicacité, et son discernement.
Le diagnostique des experts des Beaux Arts de Lyon est formel :
« - Je vous confirme mes premières impressions. Le peintre est le même. Le coup de pinceau est excellent. La peinture utilisée est de composition similaire. La comparaison par superposition des clichés démontre une grande méticulosité, un grand calme, et une grande précision.
- Vous affirmez donc que ce gars a peint deux tableaux totalement similaires ? demande Hayois.
- A quatre-vingt-dix pour cent, oui , il n’est pas arrivé à reproduire à l’identique la signature. Pourquoi, je ne sais pas. » La question qui tue.
Matteli est un flic bien qui a toujours été attaché à la présomption d’innocence. Il sait que trop souvent, la liberté de la presse devient une véritable condamnation pour un présumé coupable.
Son sang ne fait qu’un tour, en lisant le Républicain Lyonnais et son titre équivoque :
« Encore deux peintures et c’est fini ! » Un article épluché par les deux compères de la Criminelle, dans lequel ils apprennent que le meurtrier quittera le monde des Beaux Arts après deux derniers meurtres … il reconnaît être l’auteur des deux premiers crimes.
En attendant une réaction rapide de l’auteur ou de témoins pour enfin faire avancer l’affaire , Matteli vit l’instant présent avec un grand bonheur et ne rechigne pas de retirer sa cravate devant la robe de chambre soyeuse de Mme Le juge, en nuisette et porte-jarretelle noir, claquant la porte avec son pied et l’embrassant goulûment. Les lasagnes sont prêtes ! Et lui aussi. Un roman policier un peu franchouillard…
Le socle spéculatif de ce roman de laboratoire "Henri Laborit", est un genre qui repose sur les interrogations du lecteur ! Le canevas bien ficelé loin d’être de la paralittérature, n’oppose pas le fictif au réel.
L’imagin’art fait partie de l’énigme inaugurale du héros peint par lui-même, tandis que les qualités de réflexion des policiers et leurs aptitudes à raisonner font progresser l'intrigue, tout en laissant le lecteur interrogatif et indécis…N’importe qui peut-il devenir un monstre sanguinaire ?
« Je pense à une découverte récente, une révélation sur son passé a changé le cours de sa vie. Je pense que cet homme ou cette femme, coulaient des jours paisibles de Français moyen, tranquille, discret, sans histoires, et que d’un coup tout a changé. Une découverte inattendue, une rencontre ou tout autre fait à déterminer, l’a bouleversé. Il n’a pas dû réagir tout de suite, mais a ruminé cette nouvelle, cette mauvaise nouvelle. Il a cherché comment lutter contre sa colère, comment réparer la souffrance, qui lui a pété à la gueule. Sa seule réponse a été la mort, la vengeance. Oui c’est ça, la vengeance ! Il tue, mais à ses yeux il n’a pas le choix. Il répare un préjudice….. »
Tous les ingrédients sont réunis pour un bon polar, la première est sa qualité d’atmosphère pince-sans-rire et humoristique des dialogues teintés d'accent provençal, un talent du savoir faire pour vous mettre dans les brumes de l’attente suspendue, la prise de connaissance des protagonistes au fure et à mesure du récit, parfois surprenante mais jamais de la même manière.
Nicolas Clément vous prépare à digérer l’horreur, petit à petit en y mettant le zeste de psychologie dont il a le secret. Le grand « Rouletabille », c’est l’auteur lui-même. Il est un fin gourmet de sensations contrôlées, car il arrive à faire patienter son lecteur … il le retient pour qu’il ne se précipite pas sur le dénouement du récit tendu en dernière page.
Dans l’après-midi, le troisième meurtre est commis. Le troisième tableau est similaire aux deux autres ? La signature est plus marquée !
La devise de Matteli : « Un idiot qui s’assume, vous rend moins antipathique, qu’un con qui s’ignore ! »
Un tueur en série ? La police, la gendarmerie, tout le monde est sur le pied de guerre.
Les enquêteurs savent tous que l’information judiciaire ouverte contre X pour homicide l’emportera au final, en cas de besoin. Nulle raison de se « tirer le bourre » entre services.
« M..J. quitte les locaux de la Crim’. Une équipe du GOS la prend en filature. Alors qu’elle marche tranquillement, une motocyclette s’approche d’elle. Le pilote casqué sort son pistolet automatique, vise la tête et tire un seul coup en plein front. Elle s’écroule au sol. Un sac est jeté par l’agresseur devant la dépouille de sa victime, puis il démarre en trombe…. »
Le sac ouvert par les enquêteurs, contient comme ils s’y attendent une nouvelle toile, toujours la même la quatrième et la dernière …
A suivre !
Titre : Le Peintre
Auteur : NIcolas Clément
Editions Kirographaires
ISBN 978-2-8225-0437-9
prix : 19,45 €
Livre sélectionné pour le livre du mois de mars 2013.
Marie-Christine Dehove © Frenchwritersworldwide.com
En savoir plus sur Nicolas Clément.
Association paroles et justice
+33 2 51 66 15 66 ou This e-mail address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it
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