Petits accidents de la vie
Petits accidents de la vie
de
Abri © Arthur Mouton
" Et avec quelle quantité d'illusions ai-je dû naître
pour pouvoir en perdre une chaque jour ! "
© Emil Michel Cioran
« Ben, c'est pas grave, parce que le môme, c'est un psychopathe qui fout les chiens du quartier dans l'eau de Javel, qu'ils sont tout décolorés, et qui croit que tous ses voisins le regardent de travers, et qui terrorise la petite vieille de la maison d'en face en faisant mine avec son index de lui trancher la gorge.
Alors c'est bien fait pour lui ! Pour le gros Jim, tu sais bien que ce n'est rien, que ce n'est pas important ...
Il me fait du bien quand tu n'es pas là. Et tu n'es pas souvent là, toujours par monts et par vaux... Et pis, j'ai même pas baisé avec lui en plus ! Alors t'as rien à craindre, et pis même si je baisais avec lui, ça serait pas grave parce que c'est toi que j'aime. Mais je suis toujours seule, tu vois, et j'aime pas être toute seule. Je me suis mise à picoler, oh au début, un verre, mais maintenant je bois même quand tu es là...Envie de me foutre en l'air, à force de t'attendre. Le gaz.... Ouais, je sais tout est électrique à la maison. Je ressortirais bien le vieux revolver de ma mère, celui que j'avais piqué, j'avais peur qu'il s'en serve ce con ! Tu te rappelles ? Et en plus, ça ferait une jolie tache sur ton tapis... Celui que tu aimais tant, je ne sais pas pourquoi, parce que franchement il est vraiment à chier ce tapis !
Mais me foutre en l'air me fout la trouille... J'sais pas ce qu'il y a derrière... Pis dans un fauteuil... Tu ne m'achèveras pas, hein ? Pis, tu sais que je t'ai dans la peau, d'abord, que je ne peux pas être sans toi. Alors j' sais pas pourquoi t'en fais toute une histoire ! Ce n'est même pas vrai que j'aime les borgnes, en plus. Tiens, c'est quoi comme bête, un libidineux ? Ta mélancolie »
A l’heure où le fil noir ne se distingue plus du fil blanc, « Petits accidents de la vie » défile en diaporama de tranches de vie subtilement effilées. Pascale Madeleine, laisse ses yeux grands ouverts, ne triche jamais quand l’hôpital se fout de la charité, Elle écoute cette mécanique du cœur, elle refuse le camouflage de la réalité, elle a des mots qui sonnent justes, parce que sans cette exactitude, il serait vain de croire que l’on puisse encore souscrire en notre humanité.
« Dette de sens » s’est inscrite dans le langage du 21ème siècle avec ses mensonges, sa crise, la dérive des âmes, consentie ou subie, l’errance de la fraude des mots dans la perversité de la cité, la précarité institutionnalisée.
L’accent « grave » qui exclut toute idée d’enjouement, de plaisanterie, de gaieté, délie la langue Rap-peuse d’une jeunesse en recherche de sincérité, « on s’en fou ! », emphase symbolique, négation de l’être et des choses de la vie décadente, « je kif grave » ré-appropriation de l’existence du Moi, sous les décombres de la France profonde.
« Petits accidents de la vie » est un recueil de nouvelles ! Des petites histoires vraies, récoltées de-ci de-là, qui vont vous remuer les tripes, peut-être vous empêcher de dormir, parfois vous réjouir.
Des vies apostrophées, monotonie d’angoisses, danger de non-assistances !
Ne parlez pas de chantage affectif … Ne parlez pas de ces enfants captifs juste derrière chez vous…Ne dit-on pas que la phrase affective est désorganisée par la vulnérabilité ?
« L’enfer c’est les autres ! », ellipse singulière sous la gestion de nos manques et de nos besoins.
Les gens n’aiment pas qu’on les remette en question… Essayez le « parler vrai » avec votre entourage, vous entendrez chuchoter « son auréole la serre ».
Hypothéquer l’amour au nom de la sacro-sainte liberté ! Alors le langage utilise le fameux procédé d’inversion « je prends, je prends pas ! » l’émotion s’organise entre les exclamations interrogatives, les formes d’insistance, pour s’effacer dans le « cela a toujours existé ! »
« Ce qui plaît à Jane, c'est poser des questions. Les réponses, elle s'en fiche. Dans le métro, ce qu'il y a de bien, c'est que les gens, ils ne répondent pas. Ils écoutent les questions de Jane, puis passent leur chemin.
Les autres grandes personnes, comme la tutrice, ou la psy, répondent toujours à Jane que la guêpe, elle ne peut pas entrer dans sa bouche, qu'elle n'a pas de fièvre, et que si un camion lui avait écrasé le pied elle ne pourrait pas afficher ce grand sourire !
Jane sait qu'elles se trompent.
Un jour quand elle avait cinq ans, quelque chose est bien renté. En elle. Son père était là. Elle trouvait ça crasse. Son père disait que c'était normal. Que tous les pères le font lorsqu'ils aiment leur petite fille. Pourtant, devant sa mère, lorsqu'elle est entrée dans la pièce, il s'est vivement levé, tout bafouillant, tout plein de sueur. Elle n'a pas eu l'air de trouver ça normal.
Elle l'a viré de la maison, sans mot dire, Pis elle a empêché Jane de le revoir. Elle lui a dit d'oublier. Alors Jane, elle n'en parle plus jamais. Elle parle juste de la guêpe.
Jane n'aime pas beaucoup se laver. Mais pour son anniversaire, elle s'est promis de se faire aussi propre que possible. Pour faire plaisir à sa mère.
Auparavant, elle va s'acheter une robe avec l'argent que lui a donné la tutrice.
Elle lavera ses cheveux gras.
Le 15 juillet, jour de son anniversaire. Elle arrive devant l'immeuble, accompagnée de sa tutrice.
Elles montent les escaliers, à pied. L'ascenseur est en panne.
- Tiens la porte est entrouverte, dit la tutrice.
Elle pousse la porte. Dans le couloir, la mère de Jane est étendue au sol. Son visage est bleu. Elle a le cou entouré d'une écharpe rouge. Dans ses mains se trouve le dessin de Jane.
Jane ne pleurera pas. Après tout, c'est son anniversaire. »
Style littéraire ou étude ethnologique des genres, ne parlez pas d’égalité à Pascale Madeleine !
Ce concept est vide de substance, il n’existe que si vous avez l’estomac plein de votre autosuffisance.
L’idée même de l’égalité s’exprime dans la multitude de disparités variables, elle ne se révèle que par la reconnaissance de l’inégalité, et lorsque la société vous la propose, elle vous parle de l’égalité devant la loi, l’égalité devant l’impôt, devant la justice… Devant… Devant …Devant !
Mais derrière les barreaux de nos certitudes, surgit le « cri » silencieux de Munch reposant tranquille sur nos pavés cartonnés, sorte de colmatage humain pour nos chaussées déformées.
On les appelle « les dommages collatéraux ». Ils sont connus de tous ! Des malvoyants, des sourds, et des muets que nous sommes alternativement, nous, les infirmes du cœur.
La souffrance reste inscrite dans la chair, dans les gènes. Elle marque, elle empoisonne, elle se transmet en mutant en révolte ou en résignation. « Petits accidents de la vie » est écrit à la brosse plutôt qu’au pinceau. Il n’y a pas de misérabilisme …il n’y a pas de voyeurisme, juste l’authenticité des mots et des situations, un juste équilibre à la frontière entre la culpabilité et la captation du sens.
Pascale Madeleine est une grande Dame, ne se contente pas de dénoncer les incohérences de la vie, elle a aussi joint le geste à la parole, retroussé ses manches et donne du son aux sans-voix dans son livre « Fringues, soupe & compagnie », donne du pain à ceux qui ont faim, donne son temps en maraudant avec ses amis.
"Le chaos n’étonne plus.
On s’en est accommodé…
Cette attristante figure, ses souillures, sa vermine,
son haleine alcoolisée parfois, dénaturent le décor. Il a tâté des ponts, des cartons, de la pluie qui ruisselle et s’insinue sous les vêtements, des nuits passées à déambuler pour ne pas mourir de froid. Les étés, à la chaleur écrasante qui coupe le souffle. Il est là à espérer une pièce, un regard, se réfugiant dans l’alcool quelquefois. Souvent, le désœuvrement, l’inutilité d’une vie, le poids des regards et la violence ordinaire le condamne la plupart du temps à se replier sur lui-même. Il dissimule
son visage derrière une barbe, ou le noir de la crasse. Dans les squares des cités, des petites vieilles s’assoient sur les bancs publics avec dans le creux d’un sac de papier, des graines, des miettes de pain rassis, qu’elles lancent aux oiseaux, invectivant les plus gros, les plus hardis qui empêchent les petits d’accéder à la nourriture offerte. Les pigeons sont comme les clochards, ils grignotent les restes. Les clochards sont comme les pigeons, seuls les plus forts s’en sortent… S’en sortent-ils ?"
Ce livre est auto-édité. Pourquoi ? Parce que les droits sont intégralement versés à l'association "Fringues Soupe & Cie" qui organise des maraudes auprès des sans-abri et SDF Lyonnais !
Le monde est "stone", ils dorment les uns contre les autres, étendus sur l'asphalte pour se laisser mourir. Si toi, tu passes par-là, comme un soleil au milieu de la nuit, et que tu as encore envie de te battre pour l'avenir des tiens, fais un geste pour les empêcher de souffrir.
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Livre sélectionné pour le livre du mois de mai 2014.
Livre sélectionné pour Voix du Monde French literature I 2014.
Marie-Christine Dehove
po Frenchwritersworldwide.com
Quand on lit du Pascale Madeleine
on pense à l'écriture des Frères Dardenne.