Ordures de Fiel et Dorures de Miel
« Ordures de Fiel et Dorures de Miel »
Collection 'oeuvre sentimentale'
"Refuse of gall and Honey gildings"
À Denise qui m’a donné la vie.
À Chantal que m’a donnée la vie.
À la femme, unique et double
offrande de mon destin.
ROMAN D’AMOUR ? ou Etude de Moeurs ? de MARC KABA
à se procurer aux Editions Publibook 2011
"Je m’étais clairement résolu à n’avoir un faible que pour la femme que, de mon intuition ferme, j’identifierais directement comme mienne."
Le roman de Marc Kaba est posé dans le contexte de la société gabonaise moderne. Il se veut être une histoire d’amour, mais aussi indirectement une analyse de la situation de la femme gabonaise.
L’histoire débute par la réunion évangéliste du mercredi soir sur le thème du « Mariage » au temple « Eglise des Bénis du Père » le Pasteur Kombila, avait prononcé ces mots :
«C’est bien ton heure ! N’aie pas peur. C’est ton âme sœur… et tout ton cœur. Ne te cache plus d’elle, si c’était encore le cas. Et libère sur elle ta longue attente, en jaillissant d’un assaut triomphal de plénitude confiante… »
Claire Maya, née à Port-Gentil, dans une famille sans histoire, ayant obtenu un diplôme d’Administrateur Civil à l’École Nationale d’Administration de Libreville, la brillante Claire, venait de recevoir ce message comme le signe du saint Esprit , elle sauta au cou du brave célibataire, Ponce Mbila, modeste Instituteur à l’École Publique d’Akebe 2,qui cherchait à rencontrer pour mariage une jeune fille prête à la soumission et au dévouement au service bienveillant de l’époux. C’est qu’ elle était devenue si rare au Gabon Moderne; cette femme dévouée.
Dans une certaine exaltation Paul Maya, son père avait de grands projets
pour sa fille et il espérait la voir se lier à un homme fortuné, ceux-là mêmes
qui occupaient les villas cossues des quartiers huppés de la capitale.
Personnellement Clair ne souhaitait pas rester confinée dans le rôle de
la femme coquette et écervelée, elle avait fait des études et souhaitait
acquérir une émancipation féminine.
Sa vie sentimentale préalable lui avait laissé un goût amer des hommes
et elle avait déjà un enfant, l’espoir de refaire une vie amoureuse lui paraissait
presque impossible à cause du lourd poids des traditions.
Ponce Mbila, comme il le dit, sent que son sort est scellé par cette ardente
amoureuse, il la suit dans son domicile pour y vivre sans demander la main
de cette dernière à son père.
Ce dernier ayant peur de perdre son unique fille, se tait sur cette union dont
il ne conçoit pas la bénédiction, la trouvant sans issue.
Paul Maya jeta donc une débauche d’Ordures de Fiel sur Ponce Mbila qui
avait de plus en plus de mal à les supporter. Ponce joua l’indifférence
pendant de longs mois en espérant que son père comprendrait que c’est sa
fille Claire, (Dorure de Miel) qui l’ aime profondément.
Un jour cependant, le père de Claire va dépasser les limites de la bienséance,
il confronte Ponce dans un café, où le père voyant qu’il n’avait plus le contrôle
sur rien, lui propose tout un stratagème pour que Claire renonce à l’amour
qu’elle éprouve pour lui…..
Lire ce roman pour connaître le dénoument de cette histoire d'amour.
De quelle considération réelle peut bénéficier une jeune femme qui n’a pas de mari, quelles qu’en puissent être la position et les responsabilités dans la vie ?
L’idée que la morale sociale se fait de la femme gabonaise, est par-dessus tout, aux yeux de tous, l’ultime gardienne de la dignité communautaire, en tant qu’épouse, mère et fille, ne pouvant s’accomplir que dans le don entier de sa personne, avec, pour seul souci, le bonheur de ceux dont la fierté et la vie sont tributaires de son dévouement jusqu’à l’aliénation de soi parfois.
Marc Kaba, passe en revue dans les divers tableaux de ce roman, les différentes discriminations sociales dont sont encore victimes les femmes gabonaises, que ce soit dans le système éducatifscolaire obligatoire de 6 à 16ans, chez les adolescentes, dans les rapports hommes-femmes dans le couple ( l’âge du mariage est fixé à 15 ans pour les filles et 18 ans pour les garçons) et à l’accès à l’université.
Il est à constater qu’il n’y a pas d’autres alternatives dans le rôle féminin, soit elle est la fille, soit la mère, entre ces deux états il n’y a pas d’autres possibilités si la femme veut être reconnue en tant que personne à part entière dans la société gabonaise.
La femme qui est autonome et indépendante financièrement, qui veut avoir un enfant sans mari, et exercer son travail en dehors de la ville ou dans un autre pays, ne peut le faire sans subir le dénigrement de l’espace public social.
La petite fille de 6 ans qui porte son petit frère sur son dos, est déjà affublée d’un rôle de mère, elle n’a pas le temps de vivre son enfance, tout le poids des responsabilités d’un monde est déjà sur ces épaules et elle n’est pas demanderesse.
Dans le cas du mariage c’est la femme qui doit rejoindre le domicile de l’homme et non le contraire selon les traditions gabonaises, l’approbation patriarcale de la demande en mariage de la future promise est aussi un acte indispensable. Cela laisse sous-entendre que les femmes ne sont pas capables de penser par elles-mêmes, cela laisse penser que les femmes au Gabon ne sont pas encore totalement affranchies des chaînes du passé qui les relayaient aux simples rôles de femme au foyer et de mère.
Le divorce entre époux rend la femme adultère, dès qu’elle quitte le foyer pour d’autres raisons, même si elle n’a pas trompé son mari. Ponce nous parle de la souffrance lors de la séparation de ses parents, où il a dû prendre obligatoirement le parti pour son père contre sa mère, car le droit coutumier le voulait ainsi.
«Je me mis donc à détester ma mère, en trahissant mon père de la sorte, c’était donc moi qu’elle avait trahit… »p 31.
Son père lui-même aveuglé par sa souffrance, projetait sur son fils tout la haine qu’il avait pour sa femme; au lieu de dire à son fils que l’on ne divorce pas de ses enfants et qu’il pourrait voir sa mère quand il le voudrait.
Par ce récit, Marc Kaba, souligne aussi le désengagement parental, le phénomène de grossesses précoces des jeunes filles, le problème de la pauvreté, et le rôle malsain de l’argent, de la cupidité de certaines jeunes filles, ( p 38) « le jeux étant d’en retirer le plus de biens qu’elles pouvaient , cela donnait dans notre modernité des femmes aux mœurs débridées, impitoyablement organisées à cette fin, parfois même depuis les bancs de l’école… »
En prônant que la jeune fille ne doit pas forcément finir sa scolarité, car un mari fortuné l’attend forcément quelque part, les parents jouent un rôle dans la recherche de l’argent facilement gagné, les signes extérieures de prestige, le goût du luxe.
« Et nous lui avons appris, nous ses parents, qu’une grande dame ne l’est réellement, au fond, qu’avec un mari. Mais un mari encore plus grand qu’elle. Elle ne saurait l’être avec quelqu’un comme toi, dont l’insignifiance à ses côtés la tire vers le bas, pour en faire un sujet d’inévitable moquerie,
partout où elle ira. » p 27
Ce phénomène accroît le décrochage scolaire et donc le manque d’instruction et nourrit la précarisation des jeunes filles pour leur avenir.
Indirectement le lecteur se pose la question de savoir si l’égalité homme-femme déjà légalisé depuis longtemps au Gabon, est un fait réel quand on sait que la coutume prône constamment l’autorisation maritale pour des actes quotidiens banals.( la gestion bancaire du salaire de Claire Maya est faite par Ponce et non par-elle même malgré sa position sociale et professionnelle )
Quand Claire Maya vit une insatisfaction récurrente sur sa terre, c’est souvent le ciel qui est sollicité pour répondre à ses attentes, Le Bon Dieu dans son incommensurable bonté, trouvera-t-il une solution à toutes ses difficultés si elle lui demande avec ferveur ?
Durant tout le roman, les croyances religieuses servent de fonds aux relations entre les personnages…la providence et l’esprit saint apparaissent dans les conversations comme des signes de la confirmation de l’existence de Sa Présence.
Mais dans le même temps, le prédicateur du temple est aussi fortement critiqué avec son assemblée essentiellement peuplée de femmes écorchées vives qui attendent la terre promise : le mari béni des dieux. Par un certain côté l’Eglise qui prône la fidélité des partenaires et refuse la polygamie, joue un rôle d’objecteur de conscience face à la montée du HIV.
En Afrique très souvent le monde spirituel invisible est peuplé des ancêtres morts qui cependant encore interviennent dans la vie des vivants, la notion de famille recouvre à la fois les vivants et les morts. Quand Paul Maya se trouve au cimetière (p56) en recueillement et parle à sa femme défunte Philomène ? Claire vient aussi voir sa mère, qui mieux qu’une mère peut comprendre une autre mère…Les confidences de la fille et de son père à la défunte vont cristalliser les deux faces de la réalité pour donner une issue inattendue à ce roman emprunt de tolérance.
Ce roman qui se lit facilement, écrit dans un style fluide, nous rend visible la problématique tradition/ modernité, une perspective évolutionniste et idéologiquement connotée.
C’est donc une société à deux vitesses, celle qui tire vers l’avenir exigé par la mondialisation et l’autre qui la retient attachée à l’encre du droit coutumier.
Le lâcher-prise se fera-t-il un jour sans trop de dommages collatéraux ?
Les voies du Gabon sont impénétrables, seuls ceux qui y vivent peuvent en changer leurs sorts.
A chaque société correspond une idée particulière de l’ordre et de l’harmonie.
Ce principe prend sa source dans les mythes fondateurs de cette société,
lesquels donnent sens à toute activité.
Marie-Christine Dehove © Frenchwritersworldwide.com
le 2 Juillet 2011.